La valorisation d’entreprise est une opération délicate qui demande à la fois analyse globale de l’entreprise et technique, mais aussi finesse, pertinence dans l’analyse et dans la décision.
La valorisation d’entreprise est une pratique qui analyse des champs de connaissance inter-connectés, s’influençant entre eux. C’est de l’analyse de données économiques & financières qui entre dans des modèles de technique financière de valorisation. Le résultat de la valorisation est ensuite amené dans un contexte de négociation entre 2 parties, la partie qui cède son entreprise et la partie qui l’acquiert. Dans ce cadre de la négociation, se rajoute de nouvelles dimensions : la subjectivité et la tendance des marchés financiers.
Dans quel objectif valorise-t-on une entreprise ? Acquisition, cession, fusion – acquisition, acquisition de titres ou cession de titres, dans les secteurs du capital-investissement et dans celui du coté c’est-à-dire des marchés financiers. Il y a des techniques : patrimoniale, actualisation des flux, comparables, pour les grouper par typologie d’approches. Les techniques, les méthodes doivent être adaptées à l’entreprise, son activité et à son environnement.
Le sujet des techniques de valorisation n’est pas l’objet de mon article. J’ai envie de vous aider à mieux comprendre ce qui se passe quand on valorise une entreprise. Les déterminants, les sous-jacents qui vont déterminer sa valeur. Si on devait dresser la colonne vertébrale d’une valorisation d’entreprise, que retiendrait-on ? Autrement dit, quel est le sens et la signification de la valorisation d’entreprise ?
Premier point à retenir : la valeur n’est pas le prix
D’abord, bien souligner et retenir la différence entre la valeur et le prix. Valeur et prix sont deux concepts différents. Pour prendre un exemple simple, un tableau de peinture peut ne pas avoir un prix très élevé sur un marché s’il venait à être mis en vente mais sa valeur peut être très élevée pour une personne en particulier car le tableau revête pour elle/lui une haute valeur affective. Le prix résulte d’un accord entre individus sur une valeur perçue pour s’échanger un bien ou un service sur un marché.
Le prix d’une entreprise sur les marchés peut aussi être décorrélé de sa valeur économique réelle. Nous observons ces phénomènes dans les épisodes de bulle financière.
“le prix final découle en partie de la valeur. La valeur est déterminée par des facteurs clefs de la création de valeur dans le temps. Le prix est le résultat d’une négociation sur la valeur et sa perception par les parties prenantes à la négociation.”
Tania Mirkovic, FundEtik
Les 9 ou 10 critères qui déterminent le prix d’une entreprise ?

Reprenons point par point les facteurs clefs d’une valorisation d’entreprise :
1. Les data économiques et financières
Les résultats économiques et financiers vont être scrutés, analysés, sachant qu’ils ne présagent en rien des performances à venir d’une société. Pourquoi ? Pour comprendre les principales sources de revenus d’une société et comment elles sont gérées via l’analyse de la structure des coûts. En plus de la création de richesse économique et financière, on examine la structure financière, à savoir les sources de financements d’une société, son équilibre financier, sa solvabilité, sa liquidité. L’entreprise peut-elle faire face à ses engagements ? Quels sont les risques économiques et financiers ?
2. La nature de l’activité économique dans son écosystème
Les données économiques et financières ne sont pas analysées hors contexte bien entendu. Toute analyse dépend d’un contexte. Celui d’une société est fixé par son secteur économique et par la nature de son activité dans ce secteur. Cette réalité économique s’exprime et se concrétise pour chaque entreprise dans sa stratégie. C’est la nature de l’activité et la stratégie de l’entreprise qui orientent l’angle de la valorisation et le choix de la méthode de valorisation, en partant du ou des facteurs de création de valeur de la société.
Pour prendre un exemple simple, la valorisation patrimoniale est pertinente pour les sociétés immobilières. Cette même valorisation patrimoniale n’aurait que peu de sens pour une entreprise de l’internet, qui ne posséderait que très peu d’actifs matériels. Ce sont les actifs immatériels qui seraient pertinents à valoriser dans ce cas. Et dans le cas d’une majorité d’entreprises qui aujourd’hui tirent leur valeur de l’exploitation de l’information, d’actifs immatériels, invisibles, intangibles. Parmi les actifs immatériels, on trouve entre autres les marques, les technologies, les parts de marché par exemple. La liste n’est pas exhaustive : le capital immatériel est multiple et dépend de la nature de chaque activité.
Dans les actifs immatériels, on peut trouver par exemple :
- Les équipes, la structure et son fonctionnement
- Le système d’information
- le knowledge management, la transmission du savoir, le savoir en lui-même, les brevets
- les relations partenariales : clients, fournisseurs, partenaires industriels, partenaires financiers, partenaires institutionnels
- Les innovations technologiques, produits, ou d’usage ,
- etc…
3. Le potentiel de l’entreprise sur son ou ses marchés
L’analyste financier construit des scenarii d’évolution de l’entreprise à partir de la stratégie et de l’environnement de l’entreprise, évoqués précédemment, en émettant des hypothèses. L’analyste parle de l’avenir potentiel de l’entreprise et traduit ce scenario sous la forme de chiffres prévisionnels de l’activité, des performances futures, du nouvel équilibre financier qui en découle.
Quels sont les risques futurs dans le secteur qui peuvent remettre en cause son activité ? Quelles sont les forces et ressources internes qui permettent d’évoluer et de se renouveler sur son marché ?
L’entreprise évoluera-t-elle au rythme de son marché ? Mieux ? Moins bien ?
A-t-elle suffisamment de ressources pour financer ses investissements et son besoin en fonds de roulement ? Devra-t-elle augmenter son endettement pour poursuivre son développement ? Si l’endettement n’est pas suffisant, une augmentation de capital est-elle envisageable ?
L’analyste se pose toutes ces questions et plus pour déterminer l’évolution de l’activité, des performances et de l’équilibre financier.
4. Le temps et la valeur
Nous avons abordé le temps dans le point précédent avec la construction des scenarii sur les années futures d’exploitation. La notion de temps est fondamentale en finance. La rémunération du temps est au centre du fonctionnement de la finance. Donc, le risque aussi fait partie intégrante de ce fonctionnement, puisque qui dit temps dit temps décalé dans le futur et dit prise de risque. Pourquoi ? La réalité peut se passer selon les projections comme elle peut ne pas se passer ainsi mais autrement. Pour prendre l’exemple de l’investissement, l’investisseur accepte de renoncer à un flux monétaire et à sa rémunération immédiate à l’instant T dans la perspective “potentielle” de recevoir une rémunération supérieure dans le futur à l’année N+5, par exemple, ou N+7.
5. Le prix accordé au temps
Dans la suite du point précédent Temps et Valeur, on voit que les investisseurs accordent un prix au temps et au risque dans le cadre d’une opération d’investissement.
Ce prix du temps et du risque en valorisation d’entreprise se mesure au travers du taux d’actualisation dans les méthodes de valorisation par l’actualisation de flux. Le taux d’actualisation, en technique financière, permet de ramener les résultats potentiels futurs à leur valeur présente; d’où l’importance de déterminer un taux d’actualisation pertinent.
Au-delà de la technique financière de calcul du taux d’actualisation, ce sont les décisions de l’analyste financier sur les composantes du taux d’actualisation qui sont déterminantes pour la valorisation. Pourquoi ? Une différence ne serait-ce que de 0,1% de taux d’actualisation peut impacter de façon importante le résultat de la valorisation.
6. L’analyse du risque
L’analyse du risque spécifique de l’entreprise est centrale. Elle a un rôle majeur dans la valorisation d’une entreprise.
On l’a évoqué précédemment dans l’analyse des risques liés aux marchés / produits / services et dans le risque comme intrinsèque au fonctionnement de la finance. Sans prise de risques, pas de finance. Dans l’exercice de valorisation d’entreprise, plus le risque analysé ressort important, plus l’entreprise va voir sa valeur actualisée minorée. Sa valeur actualisée, c’est-à-dire sa valeur potentielle future ramenée à sa valeur présente. On le comprend dans la logique de la finance comme une contrepartie de la prise de risque de l’acquéreur au moment de l’investissement. Ce qui va majorer sa rémunération, sous la forme d’une plus-value de cession, mais uniquement si le potentiel attendu se réalisait.
7. La tendance ou l’effet de “consensus”
Il existe sur les marchés financiers des tendances à sur-pondérer ou sous-pondérer des secteurs économiques. Ce qui s’explique par la mécanique des marchés financiers de fonctionner par analogie plus que par logique, du fait de l’environnement futur incertain sur lequel sont émis les hypothèses de travail. On peut voir le rôle important de la tendance sur une valorisation dans l’existence du consensus. Le consensus, c’est l’ensemble des prévisions de résultats sur une entreprise, réalisées par les analystes financiers et réunies dans une base de données. Cela donne un consensus sectoriel pour les entreprises d’un secteur. Ce consensus sur une entreprise ou sur un secteur est utilisé pour valoriser des entreprises par la méthodes des comparables.
Le consensus n’est pas sans biais cognitif du fait de l’effet d’imitation entre analystes financiers. Ce biais affecte la capacité de raisonner de l’analyste financier ou de l’investisseur. Ce biais impacte sa capacité à anticiper l’évolution d’une entreprise dans son environnement spécifique.
Ce qui nous intéresse ici, c’est son influence indirecte sur le capital-investissement (Private Equity en anglais) qui se base, en partie, sur les études boursières pour accéder aux multiples de transaction. Les multiples permettent d’aborder la valorisation de l’entreprise cible. Il faudrait porter une attention particulière aux analyses financières divergentes d’analystes financiers confirmés.
8. La négociation
Nous l’avons vu dans l’introduction, le prix résulte de la rencontre entre une offre et une demande. Il résulte d’un accord sur la valeur perçue d’un bien ou d’un service entre acheteur et vendeur sur un marché.
Qui dit résultat d’une offre et d’une demande dit rapport de force dans le moins bon des cas ou dialogue concerté dans la meilleure des configurations. La réalité se situe entre ces deux pôles.
9. La subjectivité de celui / celle qui acquiert
Des critères plus subjectifs peuvent entrer en ligne de compte dans l’acte d’acquisition et de négociation et qui ne sont pas tous rationnels. La conviction personnelle sur le potentiel de l’activité d’une entreprise peut être en partie subjectif. La finance comportementale aborde ces points de choix non rationnels.
10. Les facteurs environnementaux, sociaux, sociétaux et de gouvernance
Ils sont résumés dans l’acronyme ESG. Quand on parle de facteurs ESG, on parle toujours de stratégie d’entreprise que nous avons abordée plus haut, au point 2 notamment. J’ai voulu cependant traiter séparément ces critères déterminants Environnement Social Gouvernance car ils jouent un rôle majeur et croissant dans la valeur d’une entreprise.
La pondération de ces critères ESG grandit à mesure que grandit la conscience de leur importance dans la sphère économique et financière. Parmi les raisons qui ont amené ce développement de la prise de conscience depuis une dizaine d’années, on retrouve entre autres :
- les crises environnementales : augmentation de la fréquences des inondations de par le Monde, épisodes de canicules récurrents en Europe occidentale alors qu’ils étaient déjà installés depuis longtemps sur le continent africain (qu’en dire ?…), le Covid crise environnementale et sociétale par excellence, etc …
- Les problématiques soulevées par le Covid en 2020 avec notamment la rupture des sources d’approvisionnement de par leur éloignement géographique
- Les crises sociétales avec la transformation des formes de travail et la recherche de sens au travail des salariés, des collaborateurs
- la prise de conscience aussi de la limite des méthodes strictement financières et quantitatives dans ce nouvel environnement de plus en plus immatériel comme vu plus haut
Les techniques de valorisation strictement financières n’intègrent pas en effet des facteurs clés de la stratégie d’une entreprise, pour prendre quelques exemples :
- bien-être et santé des salariés, et des équipes en général
- impact environnemental avec la chaîne des fournisseurs, avec les méthodes de production et leurs impacts négatifs sur l’environnement
- etc …
Cependant, nous remarquons que les facteurs ESG interagissent et impactent parfois de façon directe la valeur financière de l’entreprise de manière très logique comme on peut l’observer dans les processus de sourcing, production, distribution, …. Pour prendre un exemple simple afin d’illustrer cette interconnexion directe ESG – Finance, pas toujours visibles par tous les acteurs financiers. Si la notoriété d’une entreprise venait à être heurtée par des agissements nuisibles à l’équilibre environnemental et/ou sociétal, elle pourrait voir ses ventes impactées de façon négative soit à court terme soit à moyen terme.
Nous évoluons en effet dans une société où les individus – déjà clients ou clients potentiels – reçoivent des informations en masse (data en Anglais) croissante et à une vitesse extrêmement rapide. Dans ce contexte, ils ont la capacité de poser un veto sur certaines pratiques discutables d’entreprises quand celles-ci mettent en danger les écosystèmes vivants, la bio-diversité, l’habitat de certaines populations, la santé physique et mentale des individus, clients, salariés, collaborateurs, etc…
À l’heure des data numériques, les opinions publiques prennent un pouvoir grandissant. En parallèle, les critères ESG prennent de l’importance dans la société. Les méthodes d’évaluation et de mesure des impacts sociaux, environnementaux sont en émergence. Les cadres de référence sont multiples car on est plus dans un modèle d’analyse beaucoup plus au cas par cas que modélisable comme celui de l’analyse financière. Nous nous rendons compte que le plus important est de voir ces phénomènes d’interconnexion ESG – Finance pour pouvoir les observer, les analyser, les évaluer et les mesurer.
Conclusion
L’exercice de valorisation n’est pas une technique figée mais en mouvement. Elle intègre ainsi une vraie réflexion en amont sur l’entreprise, sa stratégie et son mode de fonctionnement dans son environnement mouvant et incertain. Quand les modes d’entreprendre changent et les modèles économiques se renouvellent, les techniques de valorisation doivent évoluer aussi pour se rapprocher de cette nouvelle réalité économique, financière, sociale, environnementale.
Le capital-investissement (private equity en anglais) s’engage aussi dans ce tournant. Il finance des entreprises désireuses de servir une économie durable, pérenne, soutenable dans la recherche d’un équilibre humain, social, environnemental, … tout autant que financier.
Un paradigme à mettre en œuvre en valorisation d’entreprise pour répondre à la nouvelle façon de faire l’économie …
Tania Mirkovic, FundEtik

Positive Finance Partner